À la faveur de ses voyages, de ses spectacles ou de ses séjours autour du Bassin d’Arcachon, Pascal Obispo capture son monde et le remixe selon ses intentions. Des paysages passés au filtre de sa poésie et des galeries de portraits bienveillants tapissent les murs d’un univers qu’il conçoit comme un refuge.
Musicien, auteur, compositeur et interprète reconnu, Pascal Obispo fait ses premiers pas en peinture en 2018 à la suite d’un choc émotionnel violent. Dans cette fracture personnelle, il a besoin d’un moyen d’expression qui lui est étranger, et face auquel il se sent totalement novice afin d’aller chercher en lui une énergie qui proviendra de ressources inhabituelles.
Cet homme de scène se tourne alors vers la peinture qui va lui permettre une gestuelle expressive libératoire. Il se saisit de pinceaux propres à véhiculer sa rage et ses émotions les plus diverses dans des directions non identifiées mais qui pour l’heure lui importent peu. Ce qu’il cherche c’est un support à une nouvelle vie pour essayer de s’affranchir d’un passé récent qui l’obsède et l’attriste. La peinture s’impose alors comme une alternative dans laquelle il se plonge avec frénésie.
Ce sujet de l’expression picturale est d’autant plus propice à une création en toute liberté que sa culture muséographique est assez sommaire, tout absorbé qu’il a été pendant plusieurs décennies par toutes les diverses formes de musique qu’il a étudié ou créé.
Que faire de cette énergie qui arrive au bout des bras et que les doigts doivent canaliser, quel sujet embrasser quand, sans aucune technique, et fort peu de références on veut colorer de la toile pour aller mieux. Les ressorts intimes et anciens sont toujours là, vigoureux, merveilleux soutiens de l’âme et supports de l’imaginaire. Pendant toute son enfance, Pascal Obispo avait peuplé ses chambres de visages découpés dans les magazines, de visages qu’il regardait et qui le regardaient. Par le jeu des compositions d’échelle, certains prenaient le pas sur d’autres, se dotaient d’importance, s’imposaient comme des figures tutélaires.
Ce sont bien eux, tous ces personnages auxquels il allait donner vie qui viendraient l’accompagner et le réconforter.
La scénographie et la composition étant une seconde nature, des résultats qui n’étaient ni escomptés ni même envisagés se sont fait jour au gré d’une production frénétique et surtout pas organisée, même si l’exercice de style et la volonté de faire mieux n’étaient jamais très éloignés.
Ainsi, cette aventure débutée comme une thérapie a non seulement atteint son objectif, mais a mis à jour un artiste peintre encore bien incertain de son talent mais décidé à nous livrer ce qu’il nomme son parcours plus que son œuvre.
Les ressources de l’enfance
Lorsque les premières formes sont apparues sur la toile, Pascal n’en connaît pas forcément le sens. Ce sont des fulgurances devenues lignes et couleurs sans intention technique ou stylistique, car seul compte en premier lieu la libération des tensions. Bientôt viendra le besoin d’agencer ces formes, de construire du sens, de trouver de la satisfaction dans une forme de réussite.
La peinture constitue un moyen de satisfaire certains besoins psychiques, un moyen de dire ses émotions sans avoir à utiliser des mots. Pour créer, Pascal sollicite son imaginaire visuel afin de s’extirper de la réalité et de vagabonder dans le domaine du rêve, du fantasme ou de scénarios fantaisistes. Il entre dans un univers de tous les possibles, où l’esprit peut se jouer divers niveaux de réalité pour produire des signes, des couleurs, des formes, des métaphores qui en apprennent toujours plus à leur créateur sur lui-même.
Ses premiers pas en peinture dans un univers peuplé d’odeurs, de couleurs, de pinceaux, et de feutres lui rappellent les jalons familiers de l’enfance où tout pouvait être envisagé dans une forme d’univers protégé bien identifié par les enfants.
Kings and Queens / Avril 2019 / 95 x 145 cm
Sur le conseil de son ami l’artiste Danhôo, Pascal Obispo abandonne les collages pour être seul décideur du graphisme qui se met en place. Sa manière emprunte alors aux codes de la bande-dessinée et à ceux du graffiti. Apparaissent déjà des motifs qui deviendront récurrents, comme les couronnes ou les grands yeux qui observent la scène.
Alors que Pascal enfant compensait sa sensation d’abandon en admirant des artistes célèbres, il va déployer sur ses toiles des foules de visages, des yeux, autant de présences symboliques destinées à dépasser ces souvenirs de solitude.
L’univers de l’adulte rattrape vite celui des balbutiements de l’enfance à travers diverses efflorescences charnelles évoquant le désir qui est bien le stigmate d’une pulsion vitale active.
Philippe / Septembre 2019 / 98 x 150 cm
En septembre 2019, l’annonce de la disparition Philippe Pascal est un choc que Pascal Obispo exprime en réalisant cette toile. Il reprend les codes formels qu’il a développés tout au long de l’année, en jouant sur le registre Eros Thanatos.
Il rend ainsi hommage à une figure majeure de sa propre mythologie, aussi bien en tant qu’homme qu’en tant qu’artiste puisqu’au-delà du chanteur et du poète inspirant, Pascal Obispo avait trouvé en Philippe Pascal au cours des années 1980 une figure tutélaire pouvant se substituer à son père si terriblement absent.
Dans les années 80, installé à Rennes seul avec sa mère récemment divorcée, Pascal Obispo avait découvert l’emblématique groupe de rock rennais Marquis de Sade fondé par Philippe Pascal, et était devenu lui-même membre de diverses formations qui animent la scène rock de la capitale bretonne.
Composer avec son bagage culturel et religieux
Très rapidement lorsque l’on peint, on remarque que des images, des codes, des références s’imposent. En effet, au-delà des tragédies propres à chacun, il y a dans l’inconscient la pression de l’éducation, les injonctions de la société qui insèrent les individus dans un système normatif de règles et de maîtrise de soi, système qui n’encourage d’ailleurs pas la créativité. S’ajoutent les visions morales, religieuses et philosophiques ; celles imposées par l’univers culturel de naissance, mais aussi celles que l’on se choisit, voire que l’on se crée, souvent dans une recherche de bien-être.
Les scènes majeures de la Bible, comme la Cène ou la Crucifixion, récurrentes dans l’histoire de l’art, habitent l’imaginaire collectif et incitent, au-delà de la Foi, à se questionner sur son rapport à la douleur, au sacrifice, à la trahison, mais aussi au pardon et à l’amour.
Les symboles du Bouddhisme quant à eux, dans la version que l’Occident s’est créée, relèvent d’un univers plus mouvant, souvent perçu comme bienveillant, axé sur la méditation, l’harmonie de l’esprit et le détachement vis-à-vis des basses considérations matérielles du monde.
Omniprésentes, ces images sont une matière avec laquelle il faut composer, que l’on décide de les traiter ou non. Mais en faisant appel à son imagination et à sa créativité, la peinture incite aussi le peintre à dépasser le simple mimétisme, à prendre des risques et à produire ses propres images, symboles et métaphores. Pascal Obispo considère avec admiration les personnes qui ont la Foi. Percevant la sérénité et la force qu’elles retirent de leurs croyances, notamment en une vie après la mort, il se plaît à approcher leur félicité en traitant divers thèmes mystiques dans sa peinture.
La Cène futuriste / Août 2021 / 220 x 640 cm
Apparaissant comme des sortes d’aliens indifférenciés arrivés à un degré d’évolution et de savoir supérieur, le Christ et ses apôtres siègent dans une Cène totalement déconstruite et symbolique : passé au premier plan, comme flottant dans les airs, Jésus est représenté sous la forme d’une figure charismatique qui semble maintenir l’équilibre du monde, tandis que se déploie la foule humaine à l’arrière-plan.
Le très grand format choisi témoigne d’une prise de confiance de l’artiste dont l’énergie narrative est devenue débordante, désormais affranchie des timidités initiales.
Pascal réalise ici une compilation de sa manière : personnages empruntant aux codes de la bande-dessinée et du graffiti, grands yeux, pavements de mosaïques colorées, foules de visages traitées en mosaïques d’une autre nature, délimitation des formes au crayon noir et rehauts dorés… Ses fresques monumentales font figure de manifestes et matérialisent une forme d’aboutissement.
Série Le fauve / 2022 / 130 x 196 cm
Entamé avec la série des Bouddhas, le travail de Pascal Obispo sur l’or prend ici une autre dimension, tandis qu’il se déploie dans une savante toile de fond qui tend presque à voler la vedette à la figure du fauve. Pourtant, le regard de ce dernier, incisif, transperce le cœur de la toile et se fixe sur le spectateur, ainsi placé dans la position de la proie épiée par la bête.
Le motif du visage, du voyeur, de l’œil qui guette atteint ici une nouvelle sophistication formelle et métaphorique ; il n’est plus foule, il s’incarne dans une figure unique – non moins oppressante -, devenue symboliquement animale pour signifier la prédation.
De même, ces animaux enfermés derrière des grilles de petits rectangles qui trouvent un prolongement dans la série des Géométries variables – évoquent également le thème récurrent chez l’artiste de la liberté menacée.
Instagram : @pascalobispo
Facebook : @PascalObispoOfficiel